POUR ALLER PLUS LOIN
Comment aurait-on pu aller plus loin ?
L’adoption du projet de loi constitutionnelle dans des termes préservant la formulation de la Convention citoyenne pour le climat est le minimum que nous pouvons espérer. Néanmoins, la crise écologique et climatique que nous traversons nécessiterait d’aller encore plus loin en inscrivant le principe de non-régression et les limites planétaires dans la constitution.
Le principe de non-régression
Ce principe est un enjeu pour préserver les acquis environnementaux et éviter tout retour en arrière en matière de protection de l’environnement.
Il figure déjà dans la loi à l’article L.110-1 du Code de l’environnement, qui énonce que “la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment”.
Néanmoins, si ce principe a une valeur normative, il ne s’impose qu’au pouvoir réglementaire et non au pouvoir législatif. En outre, sa valeur constitutionnelle n'a pas été explicitement reconnue, même s’il est inscrit en filigrane dans la Charte de l’environnement (article 2).
Le Conseil constitutionnel aurait eu l’occasion de consacrer le principe de non-régression dans sa décision du 10 décembre 2020 relative à la loi néonicotinoïdes, mais il ne l’a pas saisie et a validé cette la loi mettant en place une dérogation à l'interdiction d'usage des néonicotinoïdes. Le Conseil d’Etat a par la suite confirmé le retour temporaire des néonicotinoïdes dans une décision rendue le 15 mars 2021, en se fondant sur la décision Conseil constitutionnel.
L'intégration du principe de non-régression dans la Constitution aurait sans doute pu empêcher le retour des néonicotinoïdes sur le marché, qui constitue une régression évidente en matière de protection de l’environnement.
Son inscription dans la Constitution, et pas seulement dans la loi, permettrait en outre de le mettre à l'abri de tout changement conjoncturel de majorité parlementaire.
Les limites planétaires
Les limites planétaires sont une notion scientifique et font référence à neuf processus et systèmes régulant la stabilité et la résilience du système terrestre. Elles ont été définies par le Stockholm Resilience Center en 2009 puis actualisées en 2015. Elles incluent le climat, l’acidification des océans, la biodiversité, l’eau douce, l’usage des sols, les cycles du phosphore et de l’azote, la couche d’ozone, l’émission d’aérosols atmosphériques et la pollution chimique. Une dixième limite relative à la diffusion d’entités nouvelles dans l’environnement (molécules de synthèse, nanoparticules, …) a été établie en 2015.
Pour chacune de ces limites (sauf la dixième), il existe une valeur limite, un seuil à ne pas dépasser, si l’humanité veut pouvoir continuer à se développer sur une planète sûre. Leur franchissement nous conduirait vers un « point de basculement » entraînant un processus d’extinction irréversible des espèces, humaines et non-humaines.
Or quatre de ces limites planétaires ont déjà été dépassées au niveau mondial, et six en France selon le “Rapport sur l'état de l’environnement en France” publié par le Ministère de la transition écologique et solidaire le 24 octobre 2019.
Cette notion de limites planétaires est de plus en plus utilisée aux niveaux européen et français. Dans son discours devant la communauté internationale lors de la COP23 de Bonn en 2017, le président de la République a lui-même évoqué le franchissement du “seuil de l’irréversible” et le risque que les équilibres de la planète ne se rompent. De même, l'Agence Européenne de l'Environnement a publié le 17 avril 2020 un rapport sur le respect/irrespect par l'Europe des limites planétaires. Ensuite, le Rapport sur l'état de l’environnement en France, publié par le Ministère de la transition écologique et solidaire le 24 octobre 2019, indique que six des neuf limites planétaires sont déjà dépassées. Dans ce rapport, le concept des limites planétaires a été décliné au territoire de la France. En outre, la notion des limites planétaires figure déjà dans la loi, à l’article L110-1-1 du code de l’environnement qui dispose que “La transition vers une économie circulaire vise à atteindre une empreinte écologique neutre dans le cadre du respect des limites planétaires et à dépasser le modèle économique linéaire [...]”. Même l'Oréal souhaite “transformer [son] activité et l’inscrire dans les limites planétaires.”
L’inscription des limites planétaires dans la Constitution permettrait de poser un nouveau cadre normatif prenant en compte la réalité scientifique, et de faire évoluer notre droit vers une approche écosystémique. L’ensemble du vivant doit être préservé. Nous ne pouvons pas continuer à prélever plus de ressources que ce que la planète peut nous offrir.